La grippe A – et la pandémie associée – donne l’occasion aux entreprises de monter des arsenaux de gestion de crise pas piqués des hannetons, la mienne ne faisant pas exception à la règle. Nous avons donc (à l’instar de toute grosse entreprise, je présume), hérité d’un chef de projet grippe A (le veinard), qui s’est empressé de construire un processus bien complexe de prévention, poliment soumis aux IRP (instances représentatives du personnel), dont je fais partie.
Le chapitre que je préfère, c’est celui afférent aux « règles de distanciation sociale ». En bref : stop aux poignées de mains moites chez nos clients, haro sur les bises baveuses entre collègues, fin des franches accolades viriles quand on a gagné une compète. (Mais rien d’explicite sur les relations adultérines sur le lieu de travail, je suis assez déçue par tant d’hypocrisie).
A titre complètement personnel, je me REJOUIS de la mise en œuvre de ce chapitre de la prévention. Je bénis la distanciation sociale. Je ne déteste rien de plus que cette intrusion dans mon intimité de ces collègues que l’on connaît à peine, mais qui viennent systématiquement coller leurs lèvres (molles et un peu collantes, forcément) sur vos joues (fraîches et douces, évidemment), de bon matin, sous prétexte de convivialité. J’appréhende toujours de serrer tout un tas de paluches plus ou moins fermes, plus ou moins sèches, lors de ces comités de pilotage, où quinze messieurs sont autour de la table, et profitent de votre politesse pour vous serrer fort la main, rentrer dans votre cercle intime (moins de 50 cm du visage) en vous regardant au passage bien droit … dans le décolleté (que celui offre ou pas une quelconque vue sur vos atours, on sait jamais, même avec un col roulé, il peut y avoir moyen de moyenner).
J’ai heureusement la chance, de ce point de vue, d’évoluer professionnellement dans des sphères masculines certes (ma collègue et moi avons encore écopé de quelques remarques bien phallocrates il y a quelques jours, mais je prends même plus la peine de relever ici tellement ça me blase …), mais très policées et socialement normées, où le tutoiement est très rare, et les manières toujours distanciées (phallocratie mise à part). J’ai toujours été comme deux ronds de flan en observant les mœurs de certaines professions (arts et spectacles, pub et communication, pour ceux que j’ai approchés par ricochet), où le tutoiement et la non-distanciation sociale sont la norme. J’aime par-dessus être très distanciée aux autres dans le cadre de mon travail, sans doute même trop, puisque le blog me permet aussi de rétablir l’équilibre de manière sans doute parfois disproportionnée (genre « youhouuu voici mes seins », « héhooo regardez donc mon cul », voilà, comme ça je peux mettre mes tendances exhib sur le dos de mon taff, bien joué ma grande). Mais c’est cette distance qui me permet de faire mon travail au quotidien de manière objective et neutre. Les quelques rares fois où j’ai été amenée à entrer dans des rapports moins distancés avec un client (parce que je le connaissais depuis plusieurs années, parce qu’on avait le même âge et le même statut), j’ai toujours eu du mal à gérer le passage au tutoiement, à la bise avant d’entrer en réunion, etc. Parce qu’une fois la sphère de l’intime franchie, je trouve qu’il est plus compliqué de faire passer les messages plus difficiles. Plus facile de dire « vous vous trompez cher monsieur » que « tu te plantes mon grand », non ? Je me doute bien que les anglo-saxons n’ont pas (par nature) ces précautions langagières, et que tout cela n’est que normalisation sociale, mais bon, on a les paravents qu’on peut hein …
Tout ça pour dire, que dans les prochaines semaines, je vais distancier socialement sur mon lieu de travail comme une bête. Trobien.