Hier soir, nous avions convoqué les collègues et camarades de bureau pour une ultime soirée festive (le OFF des soirées de fin d’année en quelque sorte, après le IN des libations corporate), en faisant l’effort de mélanger les grades et donc les âges, les jeunes (nos « jujus » bien aimés) et les vieilles badernes (nous, les managers de stars). Enfin « mélanger », faut le dire vite. Tout au moins se donner un RDV commun, c’était l’idée. Les jeunes se sont retrouvés dans un bar à vin, les vieux dans un restau en terrasse, histoire de nous sustenter correctement avant d’affronter un dance floor humide et alcooleux (le K, les lyonnais reconnaîtront, c’est pseudo branchouille, et surtout à quelques minutes de nos bureaux).
Las, au bout de quelques morceaux, l’évidence sous nos yeux et dans nos oreilles qui saignaient, le public était jeune à très jeune, et la musique aussi. Un boum boum assourdissant et syncopé, étourdissant peut être mais pas vraiment dansant. Personnellement, depuis l’arrivée des enfants (le premier déjà et l’effet multiplicateur du 2ème), les occasions de faire ce genre de sortie purement récréatives s’étant considérablement raréfiées, je les apprécie, aussi naze soit la musique (et de toutes manières j’ai des goûts de chiottes, alors l’un dans l’autre …). J’aime y observer le ballet de mes frères et soeurs humains, les chausse-trappes de la séduction de nuit, ces filles trop apprêtées sur leurs hauts talons, ces garçons maladroits ou au contraire arrogants malgré leur faible attrait, ceux qui dansent en s’oubliant complètement, les yeux dans le vague et la tête renversée, versus celles qui ne se meuvent que dans le but d’attirer un regard, une attention de la part du sexe opposé. Je sirote un verre et je mate, je m’en lasse pas, je suis la voyeuse sur le banc de touche. Je sais que je suis hors circuit, mais je reste fascinée de ces jeux pré-coïtaux ou amoureux, parce que depuis mon banc, je les détecte et les comprends 100 fois mieux que lorsque j’étais de l’autre côté de la barrière. Et c’est doute cela l’avantage de grandir, de mûrir (un peu), les choses qu’on peinait à comprendre il y a 10 ans nous apparaissent sous un jour neuf et éclairée. (Qui a dit le SEUL avantage ?).

Nous décidâmes toutefois de faire sécession, en vieux cons que nous sommes (voir photo ci dessus), et de migrer vers des terres plus accueillantes pour nos oreilles de trentenaires pré quarantenaires (le Boudoir, à deux pas de là). Là, horreur et stupéfaction, la musique était effectivement bien plus abordable (Rihanna, Shakira, toutes mes copines à prénom de pouffinA étaient là, réunies sur le dance floor), mais la moyenne d’âge frisait allègrement la cinquantaine. bien tassée, friquée et bedonnante. Cernés par les couguars ascendant puma et les hommes d’affaires libidineux, nous rebroussâmes chemin au bout d’un quart d’heure, pour retrouver nos jujus et leur boum boum. Grâce à quelques coupettes bien envoyées au fond du gosier, nous retrouvâmes même le mojo suffisant pour finir par tous les coucher, nos petits collègues.
A 3h et des cacahuètes, nous étions les derniers à quitter le parquet collant de la boîte. NON MAIS.
(Loca loooca loooooooooca. Que j’ai chanté à tue tête.)
(Shakira. Eté 2012.)
Reste qu’au cours de cette soirée, il a fallu se rendre à l’évidence. Nous ne sommes plus des « jeunes ». Nous avons dépassé (allègrement) la trentaine, et avons « coché un certain nombre de cases » (le boulot stable, la vie en couple, l’appart, le mariage, les enfants, le scenic …. restent encore – il paraît – la résidence secondaire, le coupé, le labrador, la maîtresse, le plan de licenciement à 45 ans …). Les soirées alcoolisées nous amusent, mais on reste relativement détachés (tout en observant d’un oeil goguenard les petits s’explorer gaiement les amygdales). Les « jeunes » nous acceptent encore dans leur cercle, parce qu’ils savent que nous sommes la projection de leurs vies à 5 ou 10 ans, mais ils nous voient déjà comme ailleurs, dans des sphères (économiques, politiques, sociales) loin des leurs. Des fois j’ai envie de les secouer comme des vieux pruniers et leur dire « mais bordel de couille, j’étais à ta place, mon gars, y’a pas si longtemps, ne crois pas que je sois passé du côté obscur de la force, j’ai encore de l’énergie, de la capacité de rébellion, de l’imagination, le sens de la dérision, une conscience sociale, toussa ». Enfin je crois, j’espère. Mais est ce qu’ils me croiraient, ces petits cons ?
Pour autant, on se sent encore bien trop verts pour s’assimiler à ces nantis ventripotents qui matent les petits minettes au cul ferme et aux seins insolents d’un oeil torve, ou ces femmes entre deux âges qui luttent contre l’inévitable à grands renforts de tenues brillantes et corsetées, et maquillage outrancier. On est là, tankés dans cet entre-deux inconfortable, on a grandi, on a mûri, mais on veut pas vieillir. Pas encore, pas tout de suite. Alors on reste à danser, à boire, à participer au tourbillon de la vie, en mettant un point d’honneur à finir la soirée. Se coucher à 4h, se lever à 7h pour les enfants, assurer la conf call de 9h, croire et faire croire qu’on mène tout de front (alors qu’à 15h je penserais qu’à me rouler en boule dans un canapé), parce qu’on est plus jeune, mais encore fringant.
Force & honneur, camarades trentenaires.